Edito Février - Explorons l’exubérance
Points clé
- La croissance américaine continue de surprendre à la hausse et il se pourrait que quelque chose de structurel en soit la cause.
- La Fed reste prudente quant au calendrier et à l'ampleur des réductions de taux. Le marché a – enfin – compris le message.
- Les marchés d'actions ont été tirés vers le haut par la croissance des bénéfices des entreprises technologiques américaines
- Les obligations offrent également des rendements plus élevés, les banquiers centraux ayant indiqué que l'assouplissement monétaire pourrait prendre plus de temps
- Un portefeuille équilibré, investi en actions et en obligations, devraient surperformer le monétaire
Il se passe peut-être quelque chose de profond aux États-Unis
Il y a deux explications principales à la résistance de la croissance aux États-Unis. La première met l'accent sur un retard inhabituel de la transmission du resserrement monétaire. L'autre porte sur la possibilité qu'un choc positif du côté de l'offre augmente le taux de croissance tendanciel des États-Unis. Des éléments probants peuvent être trouvés pour les deux explications.
En examinant les comptes nationaux financiers produits par la Réserve fédérale (Fed), il apparaît que le coût du service de la dette pour les sociétés non financières n'a pas augmenté aussi rapidement que lors des épisodes précédents de resserrement monétaire. Il convient néanmoins d'être prudent, car la collecte de données sur les paiements d'intérêts en temps réel n'est pas aisée et il pourrait y avoir un excès d'inertie statistique dans les estimations actuelles. Un tel constat serait toutefois cohérent avec le fait que les entreprises ont profité de la très longue phase de taux d'intérêt extrêmement bas avant 2022 pour allonger la maturité moyenne de leur dette, ce qui pourrait maintenant diluer l'impact des hausses de taux. Il est également possible que le montant du service de la dette parte d'un niveau historiquement tellement faible que, même en augmentant, il ne franchisse pas le seuil critique nécessaire pour convaincre les chefs d'entreprise de revoir à la baisse leurs programmes de dépenses.
Du côté de l'offre, les gains de productivité importants et persistants de l'économie américaine suggèrent qu'un changement structurel est actuellement à l'oeuvre dans l'efficacité de l'économie américaine. Les promesses de l'intelligence artificielle font actuellement l'objet d'une grande attention. Il est toutefois peu probable qu'elle soit déjà à l'oeuvre aujourd'hui. Mais les entreprises américaines ont massivement augmenté leurs efforts d'investissement dans la propriété intellectuelle (essentiellement les logiciels et la Recherche & Développement) au cours de la dernière décennie. Il est possible qu'elles récoltent aujourd'hui les fruits d'une numérisation accélérée, surtout dans une situation de difficultés d'embauche où elles pourraient être incitées à rationaliser leur processus de production.
Bien entendu, les conclusions pour la politique monétaire sont très différentes selon que l'une ou l'autre de ces deux explications domine. Si c'est la première, la Fed ne devrait pas baisser sa garde jusqu'à ce qu'un impact adéquat de sa politique se matérialise. Dans le second cas, la Fed pourrait compter sur ces gains de productivité pour atténuer l'effet d'une forte croissance des salaires sur les prix à la consommation. Il existe toutefois un précédent historique qui devrait inciter la Fed à la prudence : à la fin des années 1990/début des années 2000, face à un épisode de forts gains de productivité induits par les technologies de l'information, Alan Greenspan avait opté pour une politique monétaire relativement accommodante qui a probablement poussé à l'accumulation de déséquilibres financiers qui ont contribué aux revers financiers de 2008-2009.
En tout état de cause, les derniers développements sur le front de l'inflation ne plaident pas en faveur d'un ajustement rapide de la restriction monétaire. Jay Powell doit se féliciter de la prudence dont il a fait preuve lors de la conférence de presse de janvier, car le premier chiffre d'inflation de cette année a confirmé que la Fed a de bonnes raisons de rester prudente en ce qui concerne le calendrier des réductions de taux. L'indice des prix à la consommation (IPC) a baissé moins que le marché ne l'attendait, s'établissant à 3,1% en glissement annuel contre un consensus de 2,9%. Ceci demeure une baisse (depuis 3.4% en décembre), mais un taux d’inflation équivalent avait déjà été observé en juin et en novembre 2023 et ainsi les observateurs se sont concentrés sur les mauvaises nouvelles concernant l'inflation sous-jacente, qui s'est stabilisée à 3,9% en janvier, alors que le marché tablait sur une nouvelle décélération à 3,7%. Comme d'habitude, nous voulons « changer les perspectives » pour minimiser l'impact des effets de base. Sur une base annualisée de trois mois, l'image qui se dégage est assez inquiétante. Depuis qu'elle a atteint un creux l'été dernier, l'inflation sous-jacente a suivi une tendance haussière et s'est établi, au cours des trois mois précédant janvier, à un rythme deux fois plus élevé que l'objectif de la Fed. L'idée maintes fois évoquée selon laquelle la dernière ligne droite de la désinflation pourrait s'avérer ardue est de plus en plus étayée par les données américaines. L'évaluation de la Fed par le marché a finalement convergé vers les prévisions du Comité politique monétaire de la Fed (FOMC) : il y a maintenant moins de quatre réductions complètes de 25 points de base prévues d'ici la fin de 2024, ce qui correspond à nos prévisions.
De telles notes positives ne se retrouve malheureusement pas en zone euro. Au-delà de la faiblesse de la croissance du PIB, ce qui est frappant, c'est l'absence de gains de productivité à l'heure actuelle, ce qui pourrait être le résultat d'une faiblesse des investissements dans la propriété intellectuelle au cours des dix dernières années. Alors que la productivité chute, la Banque centrale européenne (BCE) reste préoccupée par l'impact d'une forte croissance des salaires, même si les toutes dernières données indiquent timidement une certaine décélération. Dans ce contexte, le calendrier de la première baisse des taux a également été repoussé par le marché, conformément à nos attentes.
Amélioration du contexte macroéconomique pour les investisseurs
Malgré l'ajustement des perspectives politiques, plusieurs marchés boursiers ont atteint des sommets en février. Des cours records pour les actions et un pic prolongé pour les taux d'intérêt ne représentent pas l'évolution attendue de l'environnement macroéconomique en 2024. La croissance américaine continue de surprendre à la hausse, tandis que les bilans et les marges bénéficiaires des entreprises sont plus sains qu'on ne l'imaginait après une période d'important resserrement monétaire au niveau mondial. L'inflation, tout en montrant des signes de rigidité dans le secteur des services, est désormais plus proche des niveaux cibles que des sommets atteints en 2022. Il est peu probable que les taux d'intérêt augmentent de sitôt. Tout cela aboutit à un scénario « Goldilocks » pour les investisseurs. Les valorisations ne sont peut-être pas bon marché, mais la génération fondamentale de flux de trésorerie et la résistance des bilans soutiennent les prix des actifs. Les liquidités ont semblé être le seul endroit à privilégier l'année dernière, mais les rendements des actifs à risque ont été gratifiants et devraient continuer à l'être pendant un certain temps. Un équilibre entre les actions et les titres à taux fixe devrait permettre d'obtenir des rendements supérieurs à ceux des liquidités.
Après les ajustements des valorisations au cours de la période de resserrement monétaire de 2022-2023, l'absence d'atterrissage brutal de l'économie mondiale a été un soulagement pour les investisseurs. L'année dernière, les rendements des classes d'actifs ont commencé à se redresser, même si certains d'entre eux – en particulier du côté de l’obligataire – restent en deçà de leur pic de performance. La politique monétaire n'a pas eu l'impact négatif attendu sur la croissance mondiale, bien que les taux d'intérêt aient été relevés à partir de niveaux extrêmement bas. En effet, c'est parce que les taux ont été si bas pendant si longtemps que les grandes entreprises et les consommateurs ont été en mesure de résister à des taux plus élevés – ils se sont assurés de faibles coûts de financement à long terme et ont accumulé d'importants soldes de trésorerie et d'épargne. Avec la lente décrue de l'inflation, il est probable que les taux d'intérêt commenceront à baisser avant que la réserve de ces liquidités ne soit érodée.
C'est une chose de reconnaître que le contexte macroéconomique s'est avéré plus favorable aux investisseurs et que les marchés ont généré de meilleurs rendements qu'en 2022 et qu’au premier semestre 2023. C'en est une autre de considérer que les valorisations actuelles sont suffisamment attrayantes pour faire migrer des liquidités vers des classes d'actifs plus risquées. On a beaucoup parlé d'une psychologie de "peur de manquer" parmi les investisseurs au cours des derniers mois de 2023. Cependant, les soldes de trésorerie restent élevés – investis dans les fonds du marché monétaire américain par exemple. Il semble que les flux aient été positifs vers certaines classes d’actifs, comme le crédit de qualité, mais il est difficile d'identifier des signes de nouvelles allocations significatives vers les actions mondiales.
Les actions américaines ont montré le chemin, en particulier le secteur technologique. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi, compte tenu de l'enthousiasme suscité par l'intelligence artificielle (IA) et les applications plus larges des technologies numériques et d'automatisation avancées. Le chiffre d'affaires net combiné sur 12 mois du groupe de valeurs technologiques dit des « sept magnifiques »" (« magnificent seven ») avoisinera 1.800 milliards de dollars en 2023, ce qui représente environ 6,5% du PIB américain. En 2023 l'augmentation des ventes de ce groupe d’entreprises représentait environ 10% de l'augmentation du PIB nominal des États-Unis. Les dépenses technologiques sont massives et l'IA est le moteur des plans d'investissement des entreprises. La révolution de l'IA n'en est qu'à ses débuts et l'application de l'IA dans des secteurs économiques plus vastes n'est pas toujours une garantie d’augmentation des bénéfices potentiels. Mais le dossier d'investissement repose très fermement sur la capacité de l'IA à stimuler la productivité et les bénéfices de nombreuses entreprises. Comme nous l'avons vu lors de la première révolution des technologies numériques, les entreprises capables de protéger et d'encourager le capital intellectuel nécessaire pour soutenir le progrès technologique ont pu maintenir une croissance supérieure de leurs bénéfices. D'où la croissance généralisée du secteur technologique et sa performance globale supérieure.
La variation des anticipations concernant la date à laquelle la Fed et les autres banques centrales réduiront les taux d'intérêt et de l'ampleur de la réduction des taux, de 25 ou 50 points de base, n'a aucune importance pour le secteur technologique. À ce stade, seul un atterrissage brutal des économies, nécessitant d'importantes réductions des budgets d'investissement, serait susceptible de nuire sensiblement au secteur. Cela ne semble pas probable. En attendant, la marée montante (IA) soulève tous les bateaux, même si les performances d'indices tels que le Nasdaq et le S&P 500 bénéficient d’une plus forte concentration. L'indice S&P 500 à pondération égale de ses constituants a affiché une performance de 21,4% depuis le creux du marché d'octobre dernier (au 22 février 2024). Au cours de la même période, l'indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière des valeurs a progressé de 24,1%.
Revenu et croissance, des opportunités
Cette année, nos principaux thèmes d'investissement ont été la recherche de revenus sur les marchés du crédit aux entreprises et la recherche d'une exposition à la croissance par le biais d'actions américaines à dominante technologique. Le compte-rendu de la réunion du FOMC, qui s'est tenue le 31 janvier, soutient une opinion positive sur le crédit aux entreprises. Il suggère que la qualité du crédit reste globalement solide et saine pour les emprunteurs sur les marchés des obligations d'entreprise et des prêts à effet de levier. D'aucuns diront que c’est un avis complaisant compte tenu des signes négatifs d'augmentation des impayés dans des domaines tels que les prêts automobiles et les cartes de crédit, et des problèmes bien connus concernant certaines parties du marché de l'immobilier commercial, mais les fondamentaux des principaux marchés du crédit restent bons. Les rendements sont de nouveau attrayants, après l'ajustement des prévisions de taux depuis le début de l'année 2024. Depuis le début de l'année, les performances ont été décevantes en raison de la révision des prévisions de taux d'intérêt des banques centrales, mais les indices de crédit ont surpassé les indices de référence des obligations d'État dans l'ensemble. En d'autres termes, les investisseurs ont été récompensés pour avoir pris un risque de crédit pur, comme en témoignent les très bonnes performances des stratégies de crédit à haut rendement et à effet de levier. Si la croissance du PIB nominal et, par conséquent, la croissance du chiffre d'affaires des entreprises se maintiennent mieux que prévu en 2024, les indicateurs fondamentaux clés tels que le ratio dette nette/bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA) et les ratios de couverture des intérêts se maintiendront à des niveaux confortables.
Les grandes capitalisations ont surpassé les petites capitalisations sur le marché des actions. Les grandes banques sont mieux équipées que les petites pour faire face aux problèmes de crédit périphériques. Sur le marché des obligations à haut rendement, où les taux de défaillance continuent d'être inférieurs aux prévisions, le rendement attendu ajusté du risque devrait rester plus favorable pour les investisseurs qu'une exposition au risque pur des actions à petite capitalisation.
Les valorisations à travers le prisme d'une révolution technologique
Les investisseurs doivent toujours se préoccuper des valorisations. Toutefois, l'amélioration des perspectives macroéconomiques américaines suggère que les valorisations des principales catégories d'actifs ne sont pas aussi prohibitives qu'on pouvait le penser il y a quelques mois. Une croissance des bénéfices de 10% pour 2024 semble davantage réalisable, tandis que l’atteinte des plus hauts sur les taux signifie que le risque d'un choc de duration négatif sur le marché des obligations d'entreprise a également diminué. La croissance annuelle combinée du chiffre d'affaires des « magnificent seven » a dépassé 10% au cours de chacune des dix dernières années, à l'exception de deux. Les valorisations actuelles, comme les ratios cours/bénéfice élevés, ne devraient pas nécessairement empêcher de conclure que les valeurs technologiques constituent un bon investissement à long terme.
Equilibre et diversification, la réponse au risque d’exubérance
Il existe un risque d'exubérance. Le resserrement monétaire pourrait toujours être à l’oeuvre, cela pourrait juste prendre plus de temps. Mais les chiffres clés de l'économie américaine sont réconfortants. Une croissance à peine inférieure à la tendance, une inflation en baisse, un nombre record d'emplois, des taux d'intérêt qui plafonnent et des bénéfices des entreprises qui se maintiennent malgré les chocs de ces dernières années. Aujourd'hui, les investisseurs disposent d'une plus grande marge de diversification, avec des obligations offrant des rendements plus élevés et davantage d’opportunités disponibles sur d'autres marchés d'actions – notez les performances du Japon au cours de l'année écoulée. Si l'on prolonge l'horizon au-delà du présent, les rendements monétaires diminueront, tandis que l’obligataire et les actions pourraient bénéficier d'une certaine hausse en raison de la baisse des taux d'intérêt. Une vision plus pessimiste des perspectives peut inciter certains investisseurs à conserver leurs liquidités aujourd'hui, mais si l'atterrissage est plus difficile, les marchés obligataires en tiendraient compte et généreraient des rendements plus élevés, ce qui compenserait une partie de la faiblesse potentielle des actions. Par conséquent, une exposition significative à l’obligataire, parallèlement aux actions, semble appropriée.
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