Edito Septembre - Assurer l’atterrissage en douceur sans visibilité
La Fed démarre en trombe, la BCE se montre prudente
Le choix de la Réserve fédérale (Fed) de commencer son processus d'assouplissement par une réduction de 50 points de base est « volontariste », pour ne pas dire osé. Mais les nouvelles prévisions associées à ses décisions de politique monétaire indiquent clairement que, selon le Comité de politique monétaire américain (FOMC), un total de 200 points de base de réduction pourrait être nécessaire pour « maintenir l'atterrissage en douceur », ce sur quoi la banque centrale semble désormais se concentrer, puisqu'elle estime que la lutte contre l'inflation est gagnée. Par ailleurs, le FOMC estime que, probablement en partie car la Fed a choisi de « démarrer en trombe », celle-ci n'aura pas besoin d'amener les taux directeurs en territoire véritablement accommodant au cours de ce cycle. En effet, nous ne pensons pas que ce soit un pur hasard si le niveau auquel le taux des Fed Funds atterrira à la fin de 2026 dans leurs prévisions coïncide avec leur nouvelle estimation de leur « niveau à long terme ». Nous pensons qu'il s'agit d'un indice important que le marché obligataire ne doit pas ignorer.
Les prévisions d'une banque centrale devraient être davantage perçues comme une « déclaration d'intention » que comme un véritable « plan d'action ». Rétrospectivement, la prévision des gouverneurs de juin était trop restrictive, réagissant de manière excessive au rebond de l'inflation des services au début de 2024. Symétriquement, celle de septembre pourrait être trop réactive face aux résultats décevants des chiffres de l'emploi de cet été.
Pour évaluer la probabilité que la prévision des gouverneurs se réalise, il manque de toute façon un élément crucial dans le processus décisionnel de la Fed puisque cela dépendra du résultat des élections américaines en novembre. Nous pensons que la Fed devra revoir son jugement sur l'ampleur des baisses de taux à prévoir si Donald Trump est élu et met en oeuvre son programme intrinsèquement inflationniste. De l'autre côté de l'Atlantique, les signaux envoyés par la Banque centrale européenne (BCE) ne sont pas aussi forts.
Certes, le Conseil des gouverneurs a choisi de ne pas attendre la Fed avant de commencer à baisser les taux en juin, et a procédé à une nouvelle baisse en septembre, mais les membres les plus conservateurs continuent de plaider pour une trajectoire prudente à l'avenir. Tandis que nous estimons que la Fed réagit de manière excessive à des signes de ralentissement économique encore ténus, nous pensons au contraire que la BCE devrait adopter une approche plus incisive. Contrairement aux Etats-Unis, il est difficile d'affirmer que l'inflation s'est ralentie dans la zone euro dans le cadre d'un « atterrissage en douceur ». Il semble plutôt que l'Europe soit coincée dans une sorte d'incapacité perpétuelle à décoller. La zone euro a frôlé la récession à plusieurs reprises depuis la fin de la pandémie.
Même en tenant compte de l'écart de croissance potentielle, l'Europe est beaucoup plus proche d'une grave récession que les Etats-Unis. Dans ses dernières prévisions, la BCE a réduit ses projections de PIB de seulement 0,1 % et a maintenu la balance des risques inchangée par rapport à juin, ce qui nous a semblé surprenant compte tenu des données récentes. La BCE compte sur les gains de pouvoir d'achat des ménages, notamment grâce aux salaires qui continuent à augmenter plus vite que l'inflation, pour stimuler la consommation privée et compenser le manque de traction de la demande extérieure si la Chine continue à être faible. Mais la plupart de ces gains salariaux sont actuellement épargnés par les familles (le taux d'épargne dans les quatre plus grandes économies de la zone euro est plus élevé qu'avant la pandémie). Il y a également beaucoup plus d’indices dans la zone euro qu'aux Etats-Unis que la politique monétaire est effectivement restrictive : l’octroi de crédit a chuté, et les faillites d’entreprises augmentent rapidement, compensant largement le creux observé pendant la période Covid. De plus, la perspective d’un resserrement budgétaire l’année prochaine est également plus certaine, en termes de direction, que celle des États-Unis.
Le seul facteur qui pourrait soutenir l'argument en faveur d'une politique monétaire restrictive en Europe est la persistance des difficultés liées à l'offre de main-d'oeuvre, comme en témoigne le niveau encore élevé des problèmes de recrutement rapportés dans les enquêtes auprès des entreprises. Cependant, lorsque nous quantifions leur impact sur l'évolution des salaires, nous constatons qu'elles ont certes joué un rôle visible, mais non déterminant, dans les augmentations des salaires des deux dernières années, principalement dominées par un processus de rattrapage lié au choc inflationniste externe, désormais en recul. Cela ouvre la porte à une poursuite de la décélération des salaires en dépit d'une offre de main-d'oeuvre toujours limitée.
En résumé, nous pensons que la Fed en fait peut-être « un peu trop » et la BCE pas assez.
Ce qui attend les investisseurs obligataires
Le scénario d'un atterrissage en douceur des Etats-Unis, associé à l’intégration dans les prix des perspectives de réduction de taux d'intérêt dans la plupart des grandes économies, constitue une toile de fond favorable pour les marchés financiers au cours du dernier trimestre 2024. Les marchés obligataires, en particulier, ont enregistré des performances élevées au cours des mois d'été, reflétant le changement radical des attentes des banques centrales en matière de taux d'intérêt. Étant donné que les prix coïncident désormais avec ce que la plupart des observateurs estiment être le niveau des taux terminaux dans ce cycle, il est probable que la performance de l’obligataire sera modérée jusqu'à la fin de l'année. Cependant, 2024 a montré qu'après plus d'une décennie de rendements très bas, les investisseurs devraient mieux désormais avoir une pondération significative de titres à revenu fixe dans leurs portefeuilles. L'approche traditionnelle 60:40 de l'investissement a certainement récolté des suffrages cette année.
Les rendements obligataires à long terme sont très probablement proches des niveaux de leur juste valeur, reflétant à la fois l'évolution probable des taux d'intérêt à court terme vers une politique monétaire neutre et l'évolution probable de la croissance du PIB nominal. Un modèle simple qui régresse le niveau des rendements du Trésor américain à 10 ans sur une moyenne mobile à moyen terme de la croissance du PIB nominal indique des rendements de l'ordre de 4 %. Les déviations par rapport à ce niveau s'expliquent par le cycle et par des considérations de prime de risque.
La trajectoire implicite des taux d'intérêt de la Fed suggère un taux terminal d'environ 3 % d’ici un à deux ans. Après l'élection présidentielle américaine de novembre, les perspectives budgétaires à moyen terme des Etats-Unis pourraient commencer à avoir un impact plus important sur les prix des obligations. Aujourd'hui encore, les rendements du Trésor sont plus élevés que les taux de swap sur la partie longue de la courbe des rendements, ce qui suggère l’évidence d'une certaine prime de risque. Aucun des deux candidats à la présidence n'a abordé les perspectives budgétaires à long terme et les deux programmes, en l'état, devraient se traduire par le maintien de niveaux élevés pour le déficit fédéral et les emprunts. La prime de risque des rendements du Trésor pourrait donc encore s'accroître.
Les investisseurs obligataires sont toujours susceptibles de trouver un certain avantage à se positionner en vue d'une nouvelle pentification de la courbe des rendements. L'écart entre les rendements des bons du Trésor à 10 ans et à 2 ans est à nouveau positif après avoir été négatif depuis la mi-2022. Une nouvelle baisse des rendements à court terme est possible, de même qu'une augmentation des rendements à 10 ans dans la période post-électorale. Toutefois, il semble plus difficile dans les mois à venir d'obtenir des performances positives importantes sur le marché américain grâce à une position en duration.
En Europe l'accentuation de la pente de la courbe des rendements devrait également se poursuivre. Mais, comme c'est le cas aux Etats-Unis, les prix ont déjà intégré beaucoup de la politique à venir de la BCE et les rendements à long terme ont également beaucoup baissé. L'obligation allemande à 10 ans rapporte 2,15 % au moment où nous écrivons ces lignes, ce qui laisse peu de valeur sur la courbe, même si la BCE finit par ramener les taux à 2 %. L'amélioration des fondamentaux dans certains des autres pays de la zone euro suggère qu'il y a plus de valeur dans la partie à long terme de l'Espagne et de l'Italie.
Le crédit reste favorisé
Les courbes de taux intègrent donc déjà beaucoup des perspectives connues. La valeur des titres à revenu fixe réside davantage dans le crédit, qui continue d'offrir des opportunités aux investisseurs en matière de revenus. Les fondamentaux des obligations d'entreprise sont sains, compte tenu de la bonne tenue des bénéfices, des niveaux d'endettement gérables et de l'amélioration des conditions de financement. Il y a un an, la différence entre le rendement en vigueur (le coût des nouveaux emprunts) et le coupon hérité (le coût des emprunts existants) sur le marché européen des obligations d'entreprises de qualité était de 247 points de base (pb). Aujourd'hui, cet écart est tombé à 92 points de base. Cette « prime de refinancement » a également fortement diminué sur le marché obligataire américain. Les entreprises qui ont besoin de refinancer leur dette peuvent le faire à des niveaux plus gérables aujourd'hui que ce n'était le cas au plus fort du cycle de hausse des taux d'intérêt. Ce n'est que dans les parties les moins bien notées du marché des obligations à haut rendement que la prime de refinancement reste préoccupante (environ 5 % dans le secteur américain noté CCC). L'accès aux flux de crédit privés et l'augmentation des échanges d'actifs en difficulté ont permis au taux de défaillance des obligations à haut rendement de rester inférieur aux moyennes historiques. Par ailleurs, les entreprises à haut rendement les mieux notées devraient continuer à offrir des rendements attrayants aux investisseurs, compte tenu du contexte de crédit positif.
Les marchés d'actions conservent du potentiel, compte tenu de l'atterrissage en douceur
Compte tenu des performances élevées des obligations au troisième trimestre, celles des actions devraient être supérieures dans un avenir prévisible. Il est essentiel que la récession soit évitée, car cela soutiendra la croissance des bénéfices. On peut se demander si les attentes actuelles du consensus en matière de bénéfices sont trop élevées – environ 14 % pour le taux de croissance sur 12 mois des entreprises du S&P500 – mais les bénéfices ont augmenté à un rythme de 11 % au deuxième trimestre et les analystes semblent suggérer que l'impact de l'intelligence artificielle sur les bénéfices sera plus évident à l'avenir. En Europe, les prévisions de bénéfices sont moins élevées, ce qui traduit le contexte de croissance plus faible. Toutefois, les valorisations reflètent aussi cette situation.
La baisse des taux d'intérêt décidée par la Fed le 18 septembre a été bien accueillie par les marchés boursiers, le Dow Jones et le S&P500 atteignant des sommets. D'un point de vue saisonnier, les marchés d'actions ont tendance à bien se comporter au cours du dernier trimestre de l'année et la prochaine saison des bénéfices sera déterminante à cet égard. La prédominance des valeurs technologiques sur le marché américain s'est estompée au troisième trimestre, après la performance négative des trois derniers mois, contre un rendement de 4,6 % pour l'indice S&P500 dans son ensemble. Des prévisions et des chiffres solides de la part des principales sociétés technologiques seraient le catalyseur d'un rebond des performances et permettraient au marché dans son ensemble de réaliser une performance totale proche de 30 % sur l'année. Non pas que la Fed se préoccupe publiquement de ce genre de choses, mais le président Jerome Powell et ses collaborateurs seraient satisfaits en privé d'un tel résultat, étant donné que le marché a essentiellement légitimé le scénario d'atterrissage en douceur.
Risques liés aux élections américaines
Les risques qui pèsent sur le maintien de performances élevées des investissements découleraient d'un retour en arrière des marchés sur les prévisions de taux, si les données aux Etats-Unis et dans la zone euro sont plus solides que prévu et si l'inflation ne diminue pas davantage. Cela semble peu probable à court terme, compte tenu de la récente détente des prix mondiaux du pétrole, du léger ralentissement du marché du travail américain et des impulsions déflationnistes en provenance de Chine. Les inquiétudes concernant le programme politique au lendemain de l'élection américaine pourraient être plus réalistes. Le programme politique de Donald Trump, un mélange de protectionnisme et de réductions d'impôts, pourrait s'avérer perturbateur pour la croissance et l'inflation. Les primes de risque étant modestes sur les marchés obligataires et boursiers, la volatilité induite par les élections n'est pas à exclure, même si les fondamentaux sous-jacents restent solides.
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