Edito Juin - « Dot plot »
Points clés
- La dernière réunion de la Réserve Fédérale a signalé une différence de points de vue au sein du comité ainsi qu'une hausse des taux plus rapide.
- L'incertitude autour du niveau de la relance budgétaire pose également des questions sur les performances économiques.
- Les rendements obligataires semblent faibles par rapport aux indicateurs à moyen terme, reflétant des facteurs techniques.
- La corrélation positive entre les actions et les obligations devrait être de courte durée.
- Nos perspectives positives sur la croissance et les prix aux États-Unis devraient entraîner une hausse des taux à un moment donné.
- La diversification reste importante car les mouvements entre actifs, la forme de la courbe des taux et les actions sont difficiles à prévoir dans ce rebond économique inhabituel.
Lire entre les lignes de la Fed
Plus que le changement des prévisions sur le taux directeur, c'est la division au sein du Comité de politique monétaire américain (FOMC) qui nous semble être le signal le plus intéressant. En effet, le marché ne croyait pas au message de l'ancien « dot plot »" – et à son taux directeur inchangé avant 2024. De ce point de vue, avec deux hausses de 25 points de base (pdb) prévues en 2023 pour la médiane du comité (ce qui est d’ailleurs notre scénario de référence depuis la fin de l'année dernière), les prévisions de la Réserve Fédérale (Fed) sont maintenant plus réalistes, tout en restant extrêmement accommodantes : la banque centrale s'abstiendrait de relever le taux directeur pendant environ deux ans après la fermeture de l’écart de production, qui est sans doute en train survenir au deuxième trimestre 2021.
Le FOMC semble plus polarisé, avec toujours cinq membres qui ne prévoient aucune hausse avant 2024, alors que maintenant sept d'entre eux (contre seulement quatre en mars) verraient cette hausse se produire dès l'année prochaine. En outre, au-delà de la discussion sur le calendrier du resserrement, les membres les plus hawkish s'attendent désormais à ce que la Fed soit contrainte à une succession rapide de hausses, cinq d'entre eux prévoyant un taux des Fed Funds supérieur à 1,0% en 2023, contre seulement deux en mars. Cette polarisation fait écho au débat sous-jacent sur le sort de l'inflation dans l'ensemble de la profession économique et que nous commentons depuis plusieurs mois. Le fait que la prévision médiane pour la première hausse soit encore très éloignée de ce scenario extrême suggère que le scénario de la "bosse inflationniste" continue d'être largement soutenu au sein du FOMC. En revanche, certains membres sont clairement préoccupés par les derniers chiffres et veulent se préparer à empêcher toute accumulation durable des anticipations de prix au-dessus de l'objectif de la Fed. C'est en résumé ce que Jim Bullard – membre du FOMC au biais restrictif – a exprimé très franchement dans une interview sur CNBC le 17 juin : « Ce sont des chiffres importants, et nous devons faire preuve d'agilité ».
Un débat est en cours sur la pertinence du plan de relance du Président Biden, même parmi les partisans les plus fervents d'une politique budgétaire active. En parallèle, la banque centrale joue les équilibristes. Elle doit gérer les risques de surchauffe résultant d’une politique budgétaire trop expansionniste mais aussi éviter de resserrer trop tôt les conditions de financement afin de maintenir un soutien budgétaire suffisant alors que l’économie reste intrinsèquement fragile.
L'objectif d'inflation moyenne de la Fed – et son corollaire, attendre plus longtemps que d'habitude après que l'économie soit en surchauffe avant de normaliser les taux d'intérêt – permet aux finances publiques américaines de continuer à bénéficier de taux d'intérêt extrêmement bas. Dans cette configuration, au moment où la Fed relèvera les taux, la composante cyclique des finances publiques se sera nettement améliorée et la dette publique aura commencé à s'éroder spontanément, ce qui réduira la nécessité de procéder à un resserrement budgétaire discrétionnaire brutal par la suite. Un nombre croissant de membres du FOMC pourrait toutefois commencer à considérer qu'une "période de grâce" trop longue pourrait conduire les anticipations d'inflation à long terme nettement au-dessus de l'objectif de la Fed de manière durable. Le résultat du débat entre hawks (les faucons) et les doves (colombes) pourrait finalement être déterminé par l'état de la politique budgétaire à la fin de l'année, qui reste à ce stade très incertain étant donné la faible majorité des démocrates au Sénat.
Nous devons également tenir compte des préoccupations en matière de stabilité financière. Un effet collatéral intéressant de la communication de la Fed la semaine dernière est que les cours des actions ont souffert de manière significative. Si l'éventualité d'une hausse des taux en 2023 suffit à effrayer les actifs risqués, les faucons pourraient réfléchir à deux fois avant d'essayer de concrétiser leur volonté de relever les taux l'année prochaine. En l'état actuel des choses, nous restons confiants dans notre prévision de deux hausses de taux en 2023.
Du côté du marché obligataire, la réaction du taux de rendement à 10 ans a été très limitée, en revanche la courbe des taux s’est aplatie significativement. La hausse du rendement à 5 ans reflète l’anticipation d’un resserrement plus rapide de la politique monétaire, tandis que la baisse des rendements sur les maturités les plus éloignées, près de 20pdb sur le 30 ans, traduit le message qu’une Fed moins patiente, si nécessaire, face aux pressions sur les prix en sortie de crise de la pandémie, fournirait davantage de protection contre une dérive de l’inflation sur le long terme. Si nous pouvons comprendre ces mouvements, nous restons interpelés par le niveau des rendements. Notre mètre étalon pour cela est la prévision à long terme des Fed Funds par le FOMC, car nous pensons qu’elle fournit une bonne estimation du niveau d’équilibre des taux aux Etats-Unis. Son niveau médian ressort à 2,5%, stable par rapport au chiffre du mois de mars. Le fait que le rendement à 30 ans se tienne aujourd’hui 50pdb sous ce niveau d’équilibre – surtout considérant une prime de terme – serait le signal fort, et pour nous très exagéré, d’une vue du marché très pessimiste sur la tendance de la croissance nominale du PIB aux Etats-Unis.
Mais les facteurs techniques comptent. Ces dix dernières années nous avons assisté à une emprise grandissante des banques américaines sur la dette publique américaine, dépassant la détention des fonds de pension pour la première fois au second semestre 2020. Les données hebdomadaires de la Fed n’indiquent aucun inversement de cette tendance en 2021. Cela peut expliquer pourquoi le marché obligataire américain est resté calme, avec des rendements en repli depuis le plus haut atteint à 1,74% fin mars sur la maturité dix ans. La proportion grandissante de détention de la dette publique par les banques américaines depuis la grande crise financière est le résultat des pressions réglementaires qui ont forcé ces institutions à conserver davantage d’actifs sans risque, liquides, sur leur bilan. La hausse récente est plus probablement le reflet en premier lieu d’une recherche de sécurité, mais aussi ensuite la conséquence de l’abondance des liquidités amenées en dépôt dans le contexte de la pandémie.
La perception d’une Fed un peu plus « faucon » que « colombe » aide la Banque Centrale Européenne (BCE) en réduisant la pression sur l’euro, tant que la BCE tient sa ligne sur le programme d'achat d'urgence en cas de pandémie (PEPP). L’orientation du Conseil des Gouverneurs pour l’instant devrait nous assurer un été plutôt tranquille du côté européen. Le débat va s’animer à nouveau à la BCE à l’approche de la fin d’année, lorsqu’il s’agira de discuter quoi faire des programmes d’achats à la fin du PEPP, qui interviendra probablement fin mars 2022. Nous sommes confiants qu’une majorité sera trouvée pour augmenter le montant du programme d’achats d’actifs (APP), mais nous serions très surpris si l’effet net de la fin du PEPP et de l’ajustement de l’APP n’avait pas un effet négatif sur l’offre et la demande du marché obligataire européen, poussant les rendements à la hausse, raisonnablement.
Une histoire macroéconomique qui ne fait pas tout
L’interaction entre la situation macroéconomique et la forte influence des facteurs techniques sur le marché obligataire américain continuera de poser un défi aux investisseurs. Les trois derniers mois ont montré à quel point il est difficile de fonder une stratégie d’investissement sur une simple vision directionnelle des prix des actifs. En se positionnant seulement sur la vue macroéconomique – même si c’est par conviction – les investisseurs d’actifs à revenus fixes auraient manqué l'impressionnante reprise des obligations et le changement significatif de la forme de la courbe des taux. Nous notons ci-dessus l’importance des facteurs techniques et de la vigueur des achats des obligations du Trésor américains par les banques commerciales américaines qui ont fait face à un afflux de dépôts l’année dernière. Il n’y a aucun moyen de savoir quand ces facteurs techniques vont se dissiper et permettre à l’histoire macroéconomique de pousser significativement les taux à la hausse aux Etats-Unis. Il est important d’essayer et d’incorporer tous les moteurs potentiels des prix dans les vues de marchés. La dernière décennie, particulièrement pour le revenu à taux fixe, nous a convaincus sur l’importance de ces facteurs techniques.
Pour que les taux américains augmentent de manière significative, il est nécessaire que les taux réels montent. Or, cette hausse a toutes les chances de se produire en réponse au resserrement monétaire effectif de Fed. Au cours de chacun des trois derniers cycles de resserrement, les taux réels ont augmenté, poussant les taux nominaux à atteindre un sommet juste avant que les taux directeurs ne culminent. Plusieurs facteurs pourraient converger au cours des deux ou trois prochaines années. Il est très probable que la Fed cesse d'acheter des obligations du Trésor. La croissance des bilans des banques devrait diminuer dès que les mesures de relance budgétaire auront fait leur effet sur l’économie et que la Fed initiera son repli. Ces facteurs combinés devraient pousser les taux vers des niveaux plus élevés. Lors du dernier cycle, la performance totale d’un indice de référence des bons du Trésor américain sont restés pratiquement inchangés pendant toute la période de resserrement de la Fed. Cela pourrait se reproduire, mais un tel profil n'exclut pas des périodes où les rendements obligataires sont négatifs.
La récente corrélation positive entre les rendements des actions et des obligations constitue un signal quant au moment d'une éventuelle hausse des rendements. Les cours des actions ont augmenté tandis que les taux obligataires ont baissé. L’histoire suggère que cette corrélation positive n’a pas tendance à durer trop longtemps, et que la relation structurelle à plus long terme de la corrélation entre les actions et les obligations sans risque demeure négative. La relation peut être « normalisée » par une hausse des taux obligataires, car certains facteurs évoqués ci-dessus commencent à être pris en compte dans les attentes des investisseurs, tandis que les actions continuent de bénéficier d'une forte croissance.
Nos équipes de gestion de portefeuille continuent de considérer l’environnement macroéconomique positif pour les actions et le crédit. Pourtant, une simple vue directionnelle sur les taux est délicate, les contre-courants dans les marchés actions n’ont pas été simple à lire non plus. Les rotations entre les facteurs de style et la taille ont été importantes ces derniers mois. Nous avons devant nous la poursuite de la maturation de ce cycle économique inhabituel qui a toujours pour toile de fond une pandémie mondiale. Il ne sera pas plus facile d’anticiper ce qui peut être des changements significatifs dans le leadership des marchés d’actions, dans la forme de la courbe des taux et dans les performances à travers les marchés. Ainsi, la diversification reste très importante dans la construction des stratégies d’investissements, aussi bien dans des stratégies à classe d’actifs unique ou multiple. Nous sommes positifs sur les perspectives de croissance et sur le comportement de l'inflation à moyen terme, mais à un moment donné, les taux vont commencer à augmenter et la Fed a mis les marchés en alerte.
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